Pour la Promotion du Logiciel Libre en France

Business model libre ou propriétaire : questions sur un choix

25 mars 2011, pour diffusion immédiate.

Dans le domaine du logiciel, il existe 2 business models : un modèle propriétaire et un modèle libre. Le premier instaure une dépendance de l'utilisateur à un logiciel propriétaire et payant dont il tire du profit. Le deuxième repose sur une diffusion gratuite d'un logiciel ouvert à tous. Toutes les autres activités rentables sont communes aux deux modèles.

Pour le sens commun, le business model libre ne va pas de soi : une logique commerciale immédiate s'oppose au fait de pouvoir générer des revenus à partir de la gratuité et de la diffusion pour tous. Le business model libre est reconnu, mais il semble toujours laisser sceptiques les uns, ne pas rassurer les autres. Réalité, clichés, ignorance ? Loïc Dachary [1], président de la FSF France [2], a accepté d'éclairer de son expérience les réserves que suscitent encore le modèle.

Les entreprises commencent-elles avec du libre pour passer ensuite au propriétaire, comme si le passage aux choses sérieuses nécessitait un business model propriétaire ?

Cela concerne les entreprises qui commencent sans business model au départ. Elles sont souvent financées sur du capital-risque, à fonds perdus. Elles utilisent du logiciel libre parce que c'est plus simple. Quand le choix du business model se pose, elles choisissent le propriétaire. En fait, ceux qui doutent font d'abord du propriétaire et disent que plus tard, peut-être, ils passeront au libre. C'est le cas de Google par exemple, et qui n'est toujours pas passé au libre (sourire). Les gens qui optent pour un business model libre le font sciemment. C'est un acte militant, une décision raisonnée et calculée sur laquelle ils ne reviennent pas.

Le business model libre est choisi volontairement, le propriétaire est choisi par défaut donc ?

Je peux dire que je ne connais personne qui fasse du libre sans raison. En revanche, j'ai côtoyé des entrepreneurs qui faisaient du logiciel propriétaire sans trop savoir pourquoi. Faire du logiciel était clair pour eux, mais pourquoi du propriétaire plutôt que du logiciel libre, ils ne le savaient. Y compris des entrepreneurs eux-mêmes développeurs. Utiliser du logiciel libre ne pose de problème à personne. En faire, c'est autre chose. Je prends, mais je ne donne pas.

Il existe donc bien une forme de blocage pour passer au business model libre ?

Non. Quand tu demandes « pourquoi vous ne faites pas du libre ? », les personnes ne savent pas. Elles n'y ont simplement pas réfléchi alors qu'elles font quelque chose qui pourrait aussi bien marcher avec du logiciel libre. Prenons le cas typique des services sur le web. Un voyagiste par exemple, pourquoi ne permettrait-il pas de télécharger son site pour que chacun puisse l'utiliser par la suite ? Tout individu qui veut devenir voyagiste sur le web récupérerait le site et pourrait lancer un site de voyage de son côté.

Sans savoir, mon objection serait que je ne tiens pas à ce qu'un concurrent bénéficie de mon investissement. Donc je garde pour moi et je ne diffuse pas le code.

Voilà la réponse typique : je ne sais pas mais il préférable de faire du propriétaire. Pourquoi ? En quoi c'est mieux ? Encore une fois, je n'en sais rien mais j'ai peur, donc je ne fais pas du libre. Cette réaction est exemplaire de celle des entrepreneurs qui ont décidé par défaut, sans raisonnement. Ils ne dépassent pas cette réaction immédiate de la personne qui n'est pas du métier. Eux sont censés être du métier, avoir une profondeur de vue. Dans les faits, non.

Un entrepreneur peut estimer avoir un outil particulièrement sophistiqué constituant à ses yeux une valeur ajoutée certaine ?

C'est considérer que le logiciel représente un avantage concurrentiel, que le chiffre d'affaires repose dans une proportion non négligeable sur un logiciel unique au monde. Cet argument est valable pour le jeu vidéo par exemple. Le business model repose sur la vente de licences d'utilisation d'un jeu précis dont la durée de vie est courte. Le logiciel est le coeur même du jeu et donc du modèle. Dans ce cas, faire du propriétaire est cohérent, et c'est la raison pour laquelle ce domaine est le plus déserté par le logiciel libre. Mais dans le cas du voyagiste, l'importance du logiciel est fondée sur quoi ? À part le graphisme et le nom de domaine, ils font tous la même chose et cherchent surtout à valoriser les publicités. Dans un business plan, des mesures sur la rentabilité obtenue grâce à une fonctionnalité précise ou le temps pour la concurrence d'implanter une même fonctionnalité sont inexistantes parce que c'est ridicule. La qualité technique n'est pas un facteur de différentiation. L'internaute va chez un voyagiste précis parce que c'est moins cher, plus rapide, parce qu'il propose davantage de choix. Ces services font tous la même chose que le voisin, mais gardent leur code fermé à cause d'une crainte fondée sur l'ignorance.

Notre voyagiste qui fait sans réfléchir du propriétaire, il gagnerait quoi à faire du libre ?

Si 2 ans plus tard, il veut faire une refonte de son site, avec le libre, il bénéficiera de toutes les avancées qu'il pourra appliquer gratuitement à son site. Donc ça ne lui coûte rien sur le court terme, mais ça lui rapporte sur le long terme. Parce que si les codes sont ouverts, ce n'est plus 100 entreprises qui contribuent à un logiciel de sites web mais 10 000 qui peuvent apporter leur savoir .

Reste que dans l'absolu le propriétaire rapporte plus que le libre ?

Les entreprises les plus riches du monde sont des sociétés du logiciel propriétaire (sourire). Ceux qui décident de faire du logiciel propriétaire s'appuient sur la monétisation de la dépendance du client. Ils ont la volonté de mettre leurs clients dans un état de domination qui les oblige à payer toujours plus. C'est l'essence même de ce modèle. Le libre est évidemment moins lucratif puisque l'argent que rapporterait le fait d'avoir enchaîner les clients ne rentre pas. Mais le modèle propriétaire est aujourd'hui dans une situation incertaine parce que beaucoup de choses peuvent évoluer très rapidement. Entre 1995 et 2000, l'Internet a changé la face du monde. Une prise de conscience de la part des utilisateurs peut faire tomber l'empire des logiciels propriétaires en une période aussi courte.

C'est la prise de conscience des utilisateurs qui imposera l'expansion du business model libre ?

Richard Stallman [3] exprime en ces termes la philosophie du libre : « Les utilisateurs méritent d'être libres ». Chacun mérite le logiciel libre, pas la punition propriétaire. L'utilisateur se fatigue d'être l'esclave d'une entreprise qui le rançonne à chaque fois qu'il veut modifier son logiciel, à chaque fois qu'il faut changer de version, voire même simplement pour pouvoir utiliser correctement ce pourquoi il a déjà payé. C'est ce désir de libération qui conduit à la diffusion de plus en plus important du libre. On l'a vu avec des gouvernements qui en eu assez de dépenser les impôts de leurs contribuables avec du logiciel propriétaire. Il reste l'obstacle de la technicité pour beaucoup d'utilisateurs, mais si les gens utilisent de moins en moins le logiciel propriétaire, il perdra de sa puissance. Même si la généralisation peut paraître utopiste, le virage est amorcé. En avoir conscience est aujourd'hui nécessaire à la prise de décision d'un modèle.

Propos recueillis le 22 mars 2011 par Sandrine Muller [4].

Références

[1] -

[2] - fsffrance.org.

[3] - Richard Stallman est le créateur de la Free Software Foundation (FSF). Voir sa biographie sur Wikipédia : Richard Stallman.

[4] - journaliste web, netdeclic.net.

À propos de la Free Software Foundation

La Fondation pour le Logiciel Libre, fondée en 1985, est dédiée à la promotion des droits des utilisateurs d'ordinateurs à utiliser, copier, modifier et redistribuer les programmes informatiques. La FSF encourage le développement et l'emploi de logiciels libres, particulièrement du système d'exploitation GNU et de ses variantes et de la documentation libre pour le logiciel libre. La FSF renforce également la sensibilisation autour des problèmes éthiques et politiques de la liberté dans l'usage des logiciels. Son site Internet, http://www.fsf.org/, est une importante source d'information sur GNU/Linux. Des contributions pour soutenir son travail peuvent être faites à http://fsf.org/join. Son siège est à Boston, MA, USA.

Contacts Presse

Loïc Dachary. courriel : loic@gnu.org Tél : 09 51 18 43 38

Frédéric Couchet. courriel : fcouchet@fsffrance.org Tél : 06 60 68 89 31

 
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