Administrer Savannah et Gna! : un retour sur expérience
4 mars 2011, pour diffusion immédiate.
Parmi les forges [1] actuellement disponibles sur le Web, Savannah et Gna! [2] sont dédiées à l'hébergement exclusif de projets de logiciel libre. A la différence de l'hébergement classique, le développeur attend d'une forge la fourniture d'outils pour mettre en place un projet qui puisse s'ouvrir à d'autres collaborateurs et permettre un travail en équipe. Un service qui repose sur la mise en place d'une méthodologie efficace et le ressort de contributeurs dévoués.
C'est en 2004 que Sylvain Beucler décide de se lancer dans l'aventure. A l'instar de beaucoup d'autres étudiants en informatique, Sylvain est confronté aux frustrations qu'impose le logiciel propriétaire. Sous l'impulsion de professeurs qui n'hésitent pas à fournir à leurs étudiants des technologies libres, il découvre GNU/Linux [3]. Comme il a déjà un projet sur Savannah, s'investir sur la plateforme lui apparaît comme le moyen d'approfondir les tenants du logiciel libre et de parfaire ses compétences techniques. Il contribue pendant 7 années au fonctionnement des forges. Retour avec lui sur les enseignements de cette expérience.
Quelles sont les attentes de l'utilisateur d'une forge ?
La personne qui s'inscrit s'attend à trouver des outils et un soutien technique pour faire sa propre animation et se débrouiller seul avec la gestion de son projet. Il faut donc mettre en place une méthodologie qui permette aux développeurs de travailler efficacement et simplement, principalement pour un travail en équipe. Des outils tels que des logiciels de gestion de versions (pour gérer l'historique du code source et travailler sur plusieurs versions en parallèle), le tracker qui liste les bugs en cours et permet de gérer les tâches, la gestion des mailing lists, des membres et des droits administratifs doivent être à disposition, fiables et performants.
Quel est le profil type des membres de la plateforme ?
Les gens qui viennent sur la plateforme savent ce qu'ils veulent. Ils cherchent à obtenir de la visibilité et à référencer leur projet sur plusieurs forges. Ce sont des techos, pas des amateurs. Le plus souvent, il s'agit d'un développeur seul qui veut utiliser la plateforme pour recruter d'autres personnes. Il fait son projet, sa page de présentation, met en place sa mailing list, prépare son organisation. Après il peut se lancer dans des opérations de promotion pour récupérer des utilisateurs. En montrant qu'il a déjà pu mettre en place cette infrastructure, il fait la preuve de sa capacité à obtenir d'autres contributions et à gérer des utilisateurs, ce qui est une étape décisive.
Comment s'opère le respect des critères du logiciel libre ?
Il existe une phase de validation spécifique à Savannah et Gna! avant l'enregistrement d'un projet. La plupart des forges actuelles se contentent de vérifier très rapidement la demande et l'approuvent immédiatement. Nous, nous faisons un accompagnement auprès de la personne qui soumet son projet. Le but est d'attirer son attention principalement sur les points juridiques. Par exemple, vérifier qu'il s'agit bien d'une licence libre et pas seulement quelque chose qui y ressemble, contrôler les points techniques de comptabilité de licence lorsque plusieurs projets sont combinés, ou plus simplement expliquer la différence entre un logiciel commercial et un logiciel propriétaire quand le terme apparaît dans la documentation.
Combien de temps votre contribution vous prenait-elle ?
En cumulé environ une journée par semaine. C'était surtout le fonctionnement du service qui était le plus contraignant : vérifier les nouveaux projets, les modérer, expliquer ce qu'il fallait faire pour qu'un projet soit accepté, la gestion des problèmes techniques, les discussions avec les fournisseurs du matériel ou de la bande passante. La plateforme doit tourner tous les jours et il est difficile de prendre un break quand on sait que de nombreuses personnes dépendent de vous. Au fur et à mesure, j'ai délégué certaines tâches à des personnes elles aussi bénévoles.
Est-ce que ce travail vous a effectivement aidé sur le plan professionnel ?
Auprès des professionnels du logiciel libre certainement. En revanche, la plupart des recruteurs n'avaient pas le bagage suffisant pour comprendre le travail que je faisais. Il ne faut pas croire que le principe de la forge est utilisé partout. Dans certaines sociétés, même Sourceforge, la forge la plus ancienne et la plus connue, n'évoque rien. C'est surprenant et déstabilisant de constater qu'un travail qui vous tient à coeur n'est pas reconnu dans la profession.
Ce à quoi vous ne vous attendiez pas ?
Les opportunités de rencontres. Tenir ce rôle apporte une visibilité dans le milieu. Il est plus facile de rencontrer des personnes importantes à la tête d'associations parce qu'elles connaissent Savannah et Gna! et donc ce que vous y faites. Cela m'a aussi permis de faire des conférences pour le FOSDEM et les Rencontres mondiales du logiciel libre [4].
Ce que vous aimiez le plus ?
Pouvoir travailler sur un site avec une forte fréquentation. Dans les milieux professionnels, ce type de projet est le plus souvent mis en place dans le cadre d'une structure fermée pour ne fonctionner qu'en interne. Ici, c'est une diffusion grand public avec près de 3 millions de hits par mois. Un vrai challenge.
Ce que vous aimiez le moins ?
Les problèmes sur les machines qui arrivent toujours au plus mauvais moment. Plusieurs fois, les machines ont lâché à Boston au moment de Thanksgiving. Demander aux gens de Boston d'intervenir physiquement sur des machines un jour férié n'est pas une mince affaire. Surtout que les gens de la FSF sont salariés et travaillent physiquement ensemble. Le mode salarié et le mode bénévolat, les gens qui se voient tous les jours et ceux qui ne discutent qu'électroniquement n'est pas toujours facile à faire cohabiter.
Pourquoi tourner la page ?
Les motivations ont disparu. Je suis aujourd'hui un professionnel de l'informatique qui travaille toute la journée sur des projets. Je suis donc beaucoup moins dans la surprise qu'avant. Cette expérience était pour moi une forme d'apprentissage. Avec le temps, l'habitude s'installe et l'envie de se battre s'émousse. Il faut passer à autre chose. Même pour Savannah et Gna!, un peu de sang neuf ne peut être qu'une bonne chose. Mais tout le travail fourni sur la documentation permet de reprendre la suite sans effort.
L'état du logiciel libre aujourd'hui ?
Il est plus présent qu'il y a 7 ans, mais les gens sont-ils vraiment conscients de l'utilisation du libre dans leur poste de travail ou ailleurs ? Ce n'est pas sûr. Google par exemple utilise du logiciel libre pour fournir un service qui lui ne l'est pas. Le logiciel libre progresse bien, mais c'est un peu trop souvent pour faire du propriétaire par-dessus. Donc tout dépend : on privilégie les bonnes nouvelles ou les mauvaises. Objectivement, il est difficile de juger. Mais il est clair qu'il faut continuer à se battre. [5]
Références
[1] - En informatique, une forge désigne un système de gestion de développement collaboratif de logiciel. Elle est basée sur un logiciel qui autorise plusieurs développeurs à contribuer ensemble au développement d'un ou de plusieurs projets. En savoir plus avec la définition sur Wikipédia : forge logicielle.
[2] - Savannah est hébergé à Boston aux USA avec un appui de la FSF. Gna! est hébergé en France avec un appui de la FSF France. Les deux forges ont évolué différemment, mais s'appuient sur une philosophie identique. Elles sont basées sur l'utilisation du logiciel libre Savane, initialement développé sous le nom de Savannah. Les sites officiels : Savannah et Gna!.
[3] - Site officiel : Le système d'exploitation GNU/Linux.
[4] - Sites des événements : Les 12e Rencontres mondial du logiciel libre et Le FOSDEM.
[5] - A partir d'un entretien réalisé avec Sylvain Beucler, le 1 mars 2011.
À propos de la Free Software Foundation
La Fondation pour le Logiciel Libre, fondée en 1985, est dédiée à la promotion des droits des utilisateurs d'ordinateurs à utiliser, copier, modifier et redistribuer les programmes informatiques. La FSF encourage le développement et l'emploi de logiciels libres, particulièrement du système d'exploitation GNU et de ses variantes et de la documentation libre pour le logiciel libre. La FSF renforce également la sensibilisation autour des problèmes éthiques et politiques de la liberté dans l'usage des logiciels. Son site Internet, http://www.fsf.org/, est une importante source d'information sur GNU/Linux. Des contributions pour soutenir son travail peuvent être faites à http://fsf.org/join. Son siège est à Boston, MA, USA.
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