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Entretien avec Antoine Crochet-Damais
Antoine Crochet-Damais
est journaliste et écrit pour Le Journal du Net. Suite
à un mail envoyé à la FSF France afin d'obtenir
plus d'informations sur la création de la FSF Europe, je l'ai contacté
par téléphone.
La teneur du texte qui va suivre est délibérément
informelle, presque verbale. C'est la conversation telle que
je la garde en mémoire dans ses grandes lignes. Il ne
s'agit pas d'un discours et j'ai conscience d'avoir oublié
certains points et de m'être probablement trop étendu sur
d'autres. Néanmoins, je pense que c'est fidèle à la
conversation que nous avons eue et j'accueillerais avec bonne
grâce les critiques, la prochaine interview téléphonique en
bénéficiera certainement.
Après les présentations d'usage, nous sommes entrés dans
le vif du sujet. J'ai tout d'abord raconté la genèse de la FSF
Europe, centrée sur son acteur principal, Georg Greve. Bien
que la FSF existe depuis de nombreuses années, aucune
représentation locale ne s'était créée jusqu'alors en raison
de difficultés administratives et philosophiques. Constituer
une structure similaire à la FSF et qui fonctionne sur le même
mode demande beaucoup de soin. Par ailleurs, la compréhension
des buts et de la philosophie du Logiciel Libre, de la façon
dont la FSF en fait la promotion et la défense demande une
longue réflexion. Il y a un peu plus d'un an, Georg Greve a
commencé à envisager la création d'une structure européenne
qui factoriserait ces efforts pour tous les pays européens.
Cette action a abouti il y a peu, et nous allons célébrer
l'évènement ce week end à Essen, en Allemagne.
Durant ce long processus, Georg Greve a choisi d'exposer
l'idée de la FSF Europe et de ses fondements à venir lors de
conférences à travers l'Europe. Ce choix a permis de répandre
l'idée et de prendre contact avec de nombreuses personnes.
Ensuite, nous avons parlé des objectifs de la FSF Europe
et de ses réalisations en cours. La qualité essentielle de la
FSF Europe est de pouvoir fédérer les initiatives visant à
faire progresser et à défendre le Logiciel Libre. De nombreux
groupes existent aujourd'hui mais n'ont pas de contact à cause
de leur éloignement et de l'absence d'une entité dans laquelle
ils peuvent se reconnaître.
Un objectif de la FSF Europe est de faire progresser le
projet GNU mais c'est loin d'être suffisant. Le Logiciel Libre
est conçu et développé par de nombreux individus et
entreprises qui ne font pas encore partie du projet GNU. Il
est important de convaincre que bâtir un univers de Logiciel
Libre est un but souhaitable et d'attirer plus de force de
travail pour l'atteindre. GNU/Linux est un fondement
important mais de nombreux domaines restent à pourvoir. Par
exemple on ne connaît pas encore un intégré de gestion
Logiciel Libre. Pour les individus, un motif frappant pour les
encourager à joindre le mouvement Logiciel Libre est d'enfin
cesser de vivre comme des voleurs. Toutes les personnes que je
connais et qui disposent d'un système d'exploitation non libre
utilisent des logiciels non libres en toute illégalité. Ils les
ont copiés au mépris des lois. Le Logiciel Libre leur permet de
mettre fin à une vie de rapine ;-)
Un autre objectif est de défendre le Logiciel Libre contre
les menaces qui peuvent peser sur lui. Le cadre législatif, lié à
la conception et la distribution des logiciels, évolue sans cesse
et il faut veiller à ce qu'il n'aboutisse pas à une situation où
le Logiciel Libre deviendrait illégal. Par exemple, les brevets
logiciels menacent l'industrie du logiciel en général et les
Logiciels Libre en particulier. La FSF Europe doit donc être
active sur ce front pour prévenir une situation qui rendrait
la création de Logiciel Libre difficile ou impossible.
Enfin, est c'est probablement le plus important, la FSF
Europe doit jouer un rôle unificateur. La position de
légitimité que confère le fait que la FSF est à l'origine du
mouvement du Logiciel Libre permet à la FSF Europe de tenter
de rassembler les acteurs actuellement éparpillés dans toute
l'Europe. C'est une chance unique. En France, par exemple, la
FSF France s'est alliée avec l'association APRIL qui défend
depuis de nombreuses années les mêmes objectifs. D'autres
organismes s'associeront à la FSF Europe et pourront ainsi
établir un dialogue, entamer des actions communes à l'échelle
européenne, partager des ressources techniques et
organisationnelles.
Finalement, nous avons évoqué les réalisations actuelles
de la FSF Europe. La création étant récente, quelques semaines
à peine, il y a bien peu de choses à mettre sur la table. Mais
tous les axes souhaités ont déjà été entamés. La structure
technique actuelle de la FSF Europe partage et enrichit le
projet GNU. Nous utilisons les mêmes machines et avons installé
une machine additionnelle en France. En retour, nous contribuons
en faisant évoluer les standards et en développant le clone de
SourceForge qui s'appelle Savannah. Du coté légal, nous
entamons un travail destiné à assister l'officialisation d'une
traduction française de la licence GPL. Il est essentiel
d'être absolument certain que la forme de la GPL correspond
aux standards du droit français et qu'elle est fidèle au fond
de la version anglaise. Enfin, bien sûr, la FSF Europe va aider
à combattre les brevets logiciels.
A ce point, l'entretien était terminé et j'ai demandé à
Antoine Crochet-Damais s'il pouvait me définir en une phrase
la différence entre le mouvement Logiciel Libre et le
mouvement Open Source. Constatant qu'il en avait une notion assez
floue, j'ai défini le Logiciel Libre par ses quatre libertés
fondamentales (utilisation, étude, diffusion, modification), une
philosophie et un but qui est de permettre à chacun de pouvoir
utiliser du Logiciel Libre quelque soit son activité. J'ai brocardé
le mouvement Open Source comme un mouvement sans but, sans philosophie
et affublé d'une définition floue, ce qui la rend inutilisable.
En dernier lieu, Antoine Crochet-Damais a soulevé que
c'était sans doute cela qui protégeait le Logiciel Libre de la
récupération financière dont était victime l'Open Source. J'ai
insisté sur le fait que le Logiciel Libre se satisfait très
bien d'une activité commerciale. Rien de plus légitime et
souhaitable que de vendre de la formation ou du service sur un
Logiciel Libre. Ce que le Logiciel Libre ne supporte pas du
tout c'est que l'on touche à l'une de ses quatre libertés
fondamentales, c'est tout. Quand à l'Open Source, on parle
souvent de dérive, de récupération et sur ce sujet je reste un
peu embarrassé. Comment un mouvement qui n'a pas de but
peut-il dériver ? Si quelqu'un tente de faire dériver le
mouvement du Logiciel Libre, il est possible de lui dire, de
lui expliquer comment et pourquoi il diverge du but et de la
philosophie. Le mouvement Open Source n'ayant pas de but ni de
philosophie (il en rejette même l'idée explicitement), comment
est il possible de parler de dérive, de récupération ? Par
rapport à quel référent ?
Quand nous nous sommes quittés, il m'a proposé de relire
son article dès sa parution et promis d'y intégrer sans délai
les corrections que nous pourrions lui envoyer. Pour ne pas
être en reste, je l'ai invité à nous appeler aussi souvent que
nécessaire pour clarifier des points obscurs de la philosophie
du Logiciel Libre.
Voir aussi l'article correspondant à cet entretien dans le Journal du Net.
Loïc Dachary
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