Université d'été d'Hourtin
Une table ronde sur le Logiciel Libre a été organisée par la 22ème Université d'été d'Hourtin, France. Cet évènement est le point de rencontre annuel traditionnel entre les représentants du gouvernement et les sociétés et associations sur le thème général de la société de l'information. Frédéric Couchet a obtenu que nous soyons invités à la table ronde pour parler au nom du mouvement Logiciel Libre.
Étant donné qu'Olivier Ezratty de Microsoft était présent parmi les orateurs, les discussions n'ont pas évité la controverse. Pierre Breese, un défenseur bien connu des brevets logiciels, était également présent.
Pendant toute la discussion, les gens employaient "Linux" pour "GNU/Linux", à l'exception de Frédéric Couchet, bien sûr. J'ai corrigé ça pour éviter toute confusion. J'ai trouvé remarquable que seul le terme "Logiciel Libre" ait été utilisé pendant toute la table ronde.
H. Le Guyader (modérateur) : Le titre sur le programme est "avantages et utilisations", mais sur mes notes c'est "particularités et problèmes", ce qui est représentatif de la confusion qui existe sur le sujet. Je suis heureux d'accueillir M. Ezratty qui expliquera comment le Logiciel Libre peut être intégré sur une plate-forme apparemment fermée. (il présente tout le monde, n'ajoutant un mot que sur M. Ezratty) Dans mon activité professionnelle, je dois faire face à l'alternative Logiciel Libre. Mon but est de terminer ce débat en sachant que faire du Logiciel Libre.
M. Joly (IBM) : Nous portons de l'intérêt à GNU/Linux. Nous avons des serveurs (45% du chiffre d'affaires), du logiciel et des services. Nous avons besoin de systèmes d'exploitations et GNU/Linux en est un bon. Nous constatons une tendance qui influence le marché et nous nous sentons tenus de la proposer à nos clients, et en même temps de contribuer à l'évolution de GNU/Linux. IBM vient au Logiciel Libre et spécialement à GNU/Linux pour fournir du matériel utilisable.
H. Le Guyader : Un logiciel ne tourne pas que sur PC. Il y a aussi des logiciels embarqués dans beaucoup d'appareils. Cette tendance décolle et il y a des compagnies qui se pressent pour conquérir le marché. Est-ce que Frédéric Couchet pourrait expliquer ce qu'est un Logiciel Libre ?
F. Couchet : La FSF a été créée en 1985 pour offrir une alternative au logiciel propriétaire. Vous pouvez utiliser le logiciel, étudier comment il fonctionne d'après ses sources, le redistribuer, et le modifier pour qu'il corresponde parfaitement à vos besoins. Cela crée une activité économique indépendante et vivante. Le projet GNU est un projet philosophique. Par exemple, MandrakeSoft est une compagnie française qui combine l'aspect philosophique et l'activité économique.
Le Logiciel Libre est basé sur les lois défendant le copyright pour faire correspondre au mieux la volonté des auteurs et l'intérêt du public. Les brevets logiciels menacent cet équilibre, mais ce sera le sujet de la conférence de demain.
H. Le Guyader : Certains ministères ont créé des portails pour aider les gens à comprendre comment et pourquoi nous devrions passer au Logiciel Libre. Je m'interroge. La mise à jour des licences coûte cher. Mais la stabilité du Logiciel Libre est problématique. Et la liberté de modifier un logiciel est une chose dont nous n'avons pas vraiment besoin, si ?
B. Jelowicki (Education) : Je ne suis pas sûr de pouvoir répondre à ça. Je suis venu parce que le titre était 'Avantages du Logiciel Libre', et je vous ai demandé de présenter des défenseurs du Logiciel Libre parce que seuls des défenseurs du logiciel propriétaire étaient invités. Je ne comprends pas la problématique de ce débat et je ne comprends toujours pas où il va.
Pour l'éducation, l'avantage de la gratuité est avancé, mais ce n'est pas le plus important. Nous faisons face à un problème philosophique et d'indépendance, pas à un problème financier. Pour les sociétés, l'installation des écoles en réseau est un gros marché, et il n'y a pas beaucoup d'alternatives. Nos ressources sont limitées.
L'avantage du Logiciel Libre est qu'il peut être étudié, ce qui n'est pas le cas du logiciel propriétaire. La plupart des logiciels produits par l'Education ne sont pas très largement diffusés, et il serait très logique de les rendre libres. Certains pourraient devenir la base d'une activité économique.
Actuellement, nous enseignons aux étudiants les outils Microsoft, et pas les outils libres. Pourquoi ?
L'introduction de logiciels libres dans l'éducation n'est aujourd'hui le fait que de volontaires, et il serait très bénéfique d'accorder aux enseignants du temps et des stages sur leur temps de travail pour qu'ils s'y forment.
H. Le Guyader : J'aimerais signaler que le groupe d'origine des orateurs incluait IBM et Bull qui sont impliqués dans le Logiciel Libre.
B. Pinna (Bull) : Si Bull essayait de faire du chiffre sur le système d'exploitation, nous serions bien ennuyés. Mais ce n'est pas le cas. Nous voulons accompagner nos clients, et nous reconnaissons que le Logiciel Libre est une alternative, parce qu'il représente un marché. Nous disons à nos clients que dans certains cas le Logiciel Libre est une alternative. A quel usage sera employé le Logiciel Libre dans les administrations et les entreprises ? Nous le recommandons pour l'infrastructure.
H. Le Guyader : Microsoft ne parlera pas en dernier. Nous ne livrons pas les chrétiens aux lions à la fin. Les Logiciels Libres et propriétaires peuvent coexister, pouvez-vous nous en parler ?
O. Ezratty (Microsoft) : Le Logiciel Libre est un phénomène visible depuis cinq ans. C'est une compétition singulière. Il y a des composants juridiques et éthiques. Il y a aussi des considérations économiques.
Dans l'éducation, le Logiciel Libre est un avantage. Microsoft doit changer de comportement pour s'y adapter.
Quand nous évaluons un logiciel, nous comptons le gain de temps qu'il permet et sa valeur d'usage : c'est notre échelle de valeurs.
Co-exister ? Comment ? Nous avons une image négative. Nous adoptons les standards et nous contribuons aux standards. Nous faisons face à un Internet évoluant rapidement. Tout ce que nous faisons autour d'XML est d'ouvrir Internet. Pourquoi ? Parce que nous voulons faire croître le marché. De ce point de vue, nous avons un terrain commun avec le Logiciel Libre.
H. Le Guyader : Et à propos des lois sur la propriété intellectuelle ?
P. Breese : J'utilise le Logiciel Libre parce que c'est du bon logiciel, par parce qu'il est libre. Je partage également la définition donnée par F. Couchet. Les brevets ne sont pas contradictoires avec cette définition, ils permettent la modification du logiciel avec l'agrément de l'auteur.
L. Dachary (l'interrompt) : C'est un non-sens, c'est contradictoire avec la définition du Logiciel Libre.
P. Breese : Et à propos des brevets logiciels ? C'est une réalité ancienne. Il y a 40 ans, un brevet a été enregistré (P. Breese a donné un exemple que je n'ai pas eu le temps de noter). Bull vend pour des millions de francs l'usage d'un brevet logiciel. Dans les années 70, le logiciel a été exclu des inventions brevetables.
P. Breese a été interrompu plusieurs fois, mes notes ne sont pas complètes.
L. Dachary (s'adressant à B. Pinna) : Comment gérez-vous le fait que le choix entre le Logiciel Libre et le logiciel propriétaire implique un choix éthique ? Est-ce que vous dirigez vos clients vers des organisations compétentes en matière d'éthique ? Sinon, comment gérez-vous ces aspects éthiques quand vous vous adressez au gouvernement ou à l'Education ?
B. Pinna : Nous n'imposons pas notre offre. Notre motivation c'est de gagner de l'argent avec le logiciel. Nous développons aussi des Logiciels Libres, nous ne sommes pas contre. Nous ne pouvons pas être accusés d'être partiaux. Par exemple, on a des gens qui utilisent Jonas (NdT : une implémentation OpenSource de JavaBeans, produite par une filiale de Bull), et ils en sont très contents.
F. Couchet (s'adressant à P. Breese) : L'académie des technologies a mené une étude sur la brevetabilité des logiciels sans recevoir Eurolinux, seulement Microsoft, IBM, et les autres. C'est scandaleux.
F. Pelegrini (ABUL, chercheur) : Nos théories ne sont pas brevetables, et les brevets logiciels sont un moyen de les breveter. Je ne peux pas accepter ça.
Anonyme (s'adressant à O. Ezratty) : J'aimerais signaler que dans les autres pays, le rôle des Logiciels Libres est d'une importance majeure. Une filiale de Microsoft s'est installé en Océanie pour faire la chasse aux pirates et aux compagnies en faillite. Le Logiciel Libre est un avantage, il exclut tout piratage.
H. Le Guyader : Quels Logiciels Libres utilisez-vous ?
Anonymous : Principalement Apache.
O. Ezratty : La propriété intellectuelle doit être protégée. Lorsqu'on cherche défendre la propriété intellectuelle il peut se produire des accidents. Un objet immatériel a un coût, de la même façon qu'un objet matériel, ça ne doit pas être oublié.
Anonyme : J'aimerais savoir si chez IBM et Bull, vous utilisez des Logiciels Libres en interne. Vous fournissez également des services ; quelle part de votre activité cela représente ?
M. Joly (IBM) : Nous n'avons pas d'offre pour les utilisateurs finaux, nous n'utilisons des Logiciels Libres que pour l'infrastructure. Les Logiciels Libres ne répondent pas à tous les besoins.
B. Pinna : Nous n'utilisons pas de Logiciels Libres applicatifs car il n'y en a pas. Quelle est notre part de service sur les Logiciels Libres ? Je ne sais pas.
F. Couchet : Mais il existe des applications libres pour les utilisateurs finaux, ce n'est pas réservé à l'infrastructure !
Anonyme (directeur d'une société de logiciels propriétaires) Comment gagnez-vous de l'argent avec le Logiciel Libre ?
F. Couchet : L'économie passe de la vente de licences à la vente de services. La société contribue au logiciel et le temps des développeurs est facturé.
O. Ezratty : Microsoft représente 12% du développement au monde. RedHat gagne de l'argent mais n'échappe pas au phénomène de concentration, puisqu'ils représentent 50% des machines GNU/Linux vendues au monde.
J. Peyratout (ABULEDU) : Je n'utilise que des Logiciels Libres, dans une école primaire. Nous n'avons pas d'argent, et nous ne connaissons rien à l'informatique. Nous avions un problème. J'ai rejoint l'ABUL et l'AFUL, deux associations qui m'ont proposé de résoudre ce problème. C'était il y a deux ans. On a développé un outil pour nos besoins, sur notre temps libre. Et nous avons constaté que ça prendrait beaucoup de temps. Alors nous avons cherché des financements, et des professionnels. J'ai déja payé les développeurs, puisque j'avais besoin de leur travail. Maintenant, quel mal y a-t-il à ce que d'autres copient et utilisent notre outil ?
Nous avons gardé les produits Microsoft, mais ils disparaissent progressivement. Principalement parce que les enfants ont du mal à les utiliser, à cause des formats fermés.
P. Jarillon (ABUL) : J'ai essayé d'obtenir les spécifications du RTF, et j'ai vu plus tard que le format avait été modifié de façon innattendue. Comptez-vous modifier d'autres standards de cette manière ?
O. Ezratty : Les standards évoluent, c'est naturel. Je ne peux pas vraiment répondre. Mais XML ne sera pas modifié de cette façon, c'est le langage de l'interopérabilité.
Loïc Dachary